ON NE FAIT PAS DEUX FOIS LA MÊME ROUTE

René Basset

Contes populaires d’Afrique

E. Guilmoto, Éditeur, 1903 (Les Littératures populaires, tome XLVII, p. 390-394).

Le roi Redjioua avait une fille d’une rare beauté, nommée Arondo. Redjioua disait :

— Peu m’importe qu’un homme vienne m’offrir des esclaves, des richesses ou de l’ivoire pour épouser ma fille ; celui-là ne l’aura pas. Je veux pour gendre un homme qui s’engage à tomber malade, si Arondo tombe malade, et à mourir, si elle meurt.

Comme on connaissait les conditions du père, personne ne demandait la fille en mariage. Un jour, cependant, arrive un homme nommé Akenda Mbani (celui qui ne va jamais deux fois au même endroit). Il dit a Redjioua :

— Je veux épouser votre fille ; je consens à mourir si Arondo meurt.

C’est ainsi qu’Akenda-Mbani épousa Arondo. Akenda-Mbani était un grand chasseur. À peine marié, il alla à la chasse et tua deux cochons sauvages. └ son retour il dit :

— J’ai tué deux cochons et je vous en rapporte un.

Redjioua lui répondit :

— Allez chercher aussi l’autre.

À quoi Akenda-Mbani répartit :

— Mon père m’a transmis avec son nom la défense d’aller deux fois au même endroit.

Un autre jour, il alla encore à la chasse et tua deux antilopes. À son retour, il dit à Redjioua :

— Père, j’ai tué deux antilopes et je vous en rapporte une.

Le roi lui dit :

— Je vous en prie, mon gendre, allez chercher l’autre.

— Vous savez bien, répliqua le gendre que je ne puis pas aller deux fois au même endroit. Une autre fois, il alla encore à la chasse et tua deux bongos (sortes d’antilopes), mais il n’en rapporta toujours qu’une. Même demande, même réponse. Alors Redjioua, voyant tant de gibier abattu en pure perte, dit à l’autre :

— Je vous en prie, mon gendre, indiquez à quelqu’un l’endroit où est tombé l’autre bongo.

Akenda-Mbani repartit :

— Si je le faisais, j’aurais peur de mourir.

Le soir du même jour, un canot arriva de chez les Oroungous avec des articles de commerce et s’arrêta au bord de la rivière. Akenda-Mbani dit à sa femme Arondo :

— Allons voir les Oroungous.

Ils allèrent en effet les trouver et rapportèrent chez eux un coffre plein de denrées. Les Oroungous, cependant, firent du commerce avec les habitants du village ; puis, au moment de partir, ils vinrent chez Akenda-Mbani qui leur confia dix esclaves, et leur fit présent de deux chiens, de plusieurs régimes de bananes, de nattes, de poules, etc. Enfin les Oroungous s’en allèrent. Des mois se passèrent. Un beau jour, Aronda dit à son mari :

— Nous n’avons jamais ouvert la boîte qui vient des Oroungous. Voyons un peu ce qu’elle contient.

Ils l’ouvrirent et ils trouvèrent de la toile.

— Mon cher mari, dit Arondo, coupez-moi deux aunes de cette étoffe, car elle me plaît.

Après quoi ils quittèrent la chambre ; Arondo s’assit sur son lit ; Akenda-Mbani sur un tabouret, et tout à coup Arondo s’écria :

— Mon cher mari, je commence à avoir mal à la tête.

— Oh ! oh ! dit Akenda-Mbani, voulez-vous donc que je meure ? et il la regarda fixement.

Il noua un bandage autour de la tête de sa femme et en fit autant de la sienne. Arondo se mit à crier que son mal de tête empirait, et le peuple, à ses cris, se pressa autour d’elle. Redjioua survint et lui dit :

— Ne criez pas, ma fille, vous ne mourrez pas.

Alors Arondo demanda :

— Mon père, pourquoi me dites-vous que je ne mourrai pas ?

— Si vous craignez la mort, vous pouvez être sûre qu’elle viendra.

Il avait à peine achevé ces mots qu’elle expira. Tout le peuple se lamenta en signe de deuil, et Redjioua dit :

— À présent que ma fille est morte, il faut qu’Akenda-Mbani meure à son tour.

Le lieu de sépulture s’appelle Djimai. Les habitants vinrent y creuser une fosse pour les deux corps qui devaient y être enterrés ensemble. Redjioua fit mettre dans le tombeau commun un esclave, une dent d’éléphant, des clochettes, des nattes, de la vaisselle et le lit nuptial. Il y ajouta le couteau, le sac de chasse et la lance d’Akenda-Mbani. Alors le peuple dit :

— Recouvrons tout cela de terre et élevons un petit monticule.

Lorsqu’Agambouaï (l’oracle du village) entendit cela, il dit à Redjioua :

— Prenez garde, il y a ici des léopards.

Alors Redjioua s’écria :

— Qu’on n’élève pas de monticule, car les léopards pourraient venir gratter la terre et manger le corps de ma fille.

Sur quoi le peuple dit tout d’une voix :

— Creusons une fosse plus profonde.

Ils retirèrent donc de la fosse Arondo et son mari, et les posèrent tous deux sur des escabeaux pendant qu’ils creusaient et recreusaient le trou ; puis ils remirent tous les objets enterrés avec Arondo et y placèrent aussi la morte. Quand ils en vinrent à Akenda-Mbani, celui-ci se ranima et leur dit :

— Je ne vais jamais deux fois au même endroit ; pourquoi me mettre dans la tombe et m’en retirer quand vous savez tous que je ne retourne jamais où j’ai déjà été.

Lorsque Redjioua entendit ces paroles, il se mit en colère contre les fossoyeurs et leur dit :

— Vous savez bien qu’Akenda-Mbani, son nom le prouve, ne va jamais deux fois au même endroit. Pourquoi donc l’avez-vous retiré de la place où il était ?

Alors il ordonna au peuple de s’emparer d’Agambouaï et de lui couper la tête.


Les Otando habitent près de la rivière Ngounyé, entre les Achira et les Apono, dans le Congo français.
Du Chaillu, L’Afrique sauvage, p. 329-331.

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